Mais pourquoi irait-on manger si haut ?

Mais pourquoi irait-on manger si haut ?

Pourquoi les rooftops sont-ils rarement à la hauteur ?
12 Décembre 2022, Par Maria Zanotelli

Les rooftops : mais pourquoi irait-on manger si haut ?

Ça y est, c’est l’hiver, alors pour renforcer encore un peu la nostalgie des apéritifs en terrasse et des pique-niques dans les parcs, intéressons-nous à quelque chose de résolument estival : les rooftops. À défaut de les fréquenter, vous avez dû entendre parler d’un ou deux de ces lieux haut perchés, à Paris, Marseille, Lyon, Lille, et dans pas mal d’autres villes françaises.

Pour l’un de nos fameux projets-top-secrets-dont-on-ne-peut-pas-encore-vous-parler-mais-bientôt-qui-sait ? nous avons recensé tous les rooftops que nous avons pu trouver à Paris et en régions pour un client, et on en a nous-mêmes testés pas mal. Résultat des courses : on avait chaque fois une pointe de déception en en parlant entre nous, parce que « ouais je m’attendais à mieux, quand même ». Mais pourquoi est-ce qu’on s’attendait à mieux ? Est-ce qu’on sait vraiment à quoi on s’attendait ? Nos attentes n’étaient-elles pas mal placées ?

UN SIÈCLE D’HISTOIRE ?
Depuis les 5 dernières années, on a l’impression de les voir se reproduire comme des champignons après un jour de pluie, mais les rooftops existent depuis des millénaires, dans des versions moins penchées sur la mixologie et la craft IPA. Il y avait notamment les ziggourats, des édifices religieux à terrasses, en Mésopotamie (entre 6000 et 400 av. J.C.) ou encore un jardin en hauteur réalisé d’après une commande du pape Pie II à Pienza, en Italie, en 1463.

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Crédit photo : Byron Company – Museum of the City of New York
Les rooftops tels qu’on les connaît aujourd’hui s’appelaient, à leurs débuts, roof gardens : des jardins sur les toits. C’est à la fin du XIXème siècle, durant le Gilded Age, que le premier de ces toits-terrasses a éclos, à New York. Leur créateur n’a pas eu cette idée en hommage aux jardins suspendus de Babylone mais en allant en Europe : il y a découvert les biergarten allemands et les jardins urbains dans lesquels on se rassemblait l’été pour assister à des spectacles en plein air. De retour chez lui, il a voulu recréer quelque chose de similaire mais, à cette époque, New York était déjà connue pour la rareté (et le prix) de son mètre carré. Il a alors décidé de faire ça sur le toit de son fraîchement construit Casino Theater, une salle de spectacles située au croisement de Broadway et de la 39ème rue.

Charles Hoffbauer, Dîner sur le toit, 1905
À l’époque déjà, l’idée fit fureur et la queue fut longue. Un témoignage dit que « tout était satisfaisant, sauf les rafraîchissements » : le Casino s’est donc rapidement mis à servir des boissons alcoolisées – bière, whisky et champagne. L’un des fournisseurs du Casino a d’ailleurs déclaré, tout en nuances et en retenue, que lors de la première semaine d’exploitation, « on y a consommé plus de champagne que n’en avait jamais été bu auparavant au même moment et au même endroit » (vous pouvez lire la version non traduite de cette jolie hyperbole ici).
Splendeur et misère des roof gardens

Splendeur et misère des roof gardens

Ce succès du Casino Theater en 1880 poussa de nombreux patrons de cinémas, théâtres et salles de concert à tenter leur chance et à, eux aussi, dédoubler leur activité pour pouvoir attirer du monde pendant l’été. L’ancien Madison Square Garden (le 2ème, celui que l’on connaît actuellement est le 3ème du nom) a d’ailleurs été nommé d’après ce phénomène des roof gardens (d’après turfmagazine.com). Inauguré en 1890, on trouvait en haut de sa tour de 32 étages, construite comme un clocher néo-renaissance, une sorte de jardin des plaisirs à l’accent italien, avec des arches et autres décorations en stuc, et « 300 tables, des lanternes électriques multicolores, et la meilleure vue de la ville ». Capable d’accueillir 800 personnes, il fut assailli de 5000 curieux lors de l’inauguration, qui se pressaient tant dans les ascenseurs et les escaliers que le groupe qui devait jouer ce soir-là ne put atteindre le sommet de l’immeuble.

Charles Hoffbauer, Sans titre, 1905
Si les roof gardens ont fleuri rapidement un peu partout dans New York et dans le reste des villes américaines, ils ont aussi connu un déclin rapide lors de l’arrivée de la climatisation : dès que les cinémas se sont dotés de cette invention, les clients sont redescendus s’enfermer dans les salles obscures. Mais cette nouvelle utilisation des toits est restée et a marqué les esprits, et on trouve aujourd’hui des guides et classements des meilleurs bars en rooftop d’à peu près toutes les villes. Time Out a même fait un top 10 des « non-douchey rooftop bars » de New York, soit les rooftop bars « sans connards ».
Folie de la grandeur

Folie de la grandeur

Ce qui est intéressant quand on se penche sur l’histoire des rooftops, c’est qu’à l’origine, ils étaient dédiés au divertissement, à l’évènementiel, et que la nourriture et la boisson n’étaient là qu’en seconde position, pour générer du revenu supplémentaire et rendre le tout encore plus divertissant, festif, et dépaysant. C’est quand les cinémas se sont climatisés que les rooftops se sont réellement transformés en restaurants ou en bars dont la fonction première était de permettre aux citadins de manger en extérieur avec une vue sur toute leur ville.

De fait, le rooftop bar américain est né d’une différence fondamentale avec l’Europe, et plus particulièrement avec la France : baladez-vous dans les grandes villes des Etats-Unis, et vous serez à peu près sûr de ne croiser aucune (ou très peu de) terrasse(s). Baladez-vous dans les grandes villes françaises, mais aussi dans les patelins les plus reculés, et vous êtes à peu près sûr de trouver une épicerie – PMU – bar tabac – dépôt de pain avec quelques chaises et tables en extérieur. Si l’on voulait résumer grossièrement, on pourrait dire que le rooftop est aux Etats-Unis ce que la terrasse est à la France.

Crédit photo : brasserie de l’Île Saint Louis par Peter Turnley
En France, être dehors, être en terrasse, ça nous connaît, c’est pour nous une activité à part entière que d’aller boire des verres installés le long de nos grandes artères. Peu importe le temps, il y a toujours des courageux pour s’installer dehors et rester de marbre, sans s’étonner de voir la vapeur s’échapper de leur bouche et une teinte bleue s’emparer de leurs doigts à mesure que les pintes descendent.

Habitués à manger et boire en extérieur, peut-être avons-nous du mal à nous émouvoir du « simple » fait de faire cela des dizaines de mètres au-dessus du sol.

Habitués de nos terrasses avec leur vue sur rue, place, fleuve, ou beau bâtiment, peut-être avons-nous du mal à faire la queue pendant plusieurs dizaines de minutes pour payer un verre plus cher que dans notre bar favori, avec un goût amer rendant le panorama un peu moins délectable.

Habitués à être au sol, peut-être n’avons-nous pas la folie de la grandeur pour la grandeur.
Lieu ≠ Concept
Cette pointe de déception que l’on a pu ressentir au sortir de certains bars en rooftop est certainement due, en partie, au fait que nous sommes Français et que nous correspondons bien au stéréotype du Français – jamais content et toujours blasé. Néanmoins, pour nous excuser, on peut aussi rappeler qu’un rooftop, c’est un lieu, une situation dans l’espace : ce n’est pas un concept. Or, à l’heure où de nombreux entrepreneurs de la restauration s’échinent à inventer des concepts novateurs et ambitieux, les rooftops ont souvent l’air de dire « profitez de la vue, c’est tout ce que vous aurez ».

Ça n’est plus assez : nous avons beau être Français, nous nous sommes mondialisés (ou américanisés, comme vous voudrez). Aujourd’hui, les gens ont bien plus envie de divertissement, d’activités, pas juste de boire des verres en grillant des cigarettes. Je dis que nous nous sommes américanisés car cela fait pour moi écho à la notion de « date » aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, un date est un moment important, que l’on prévoit et organise souvent en plusieurs étapes et plusieurs activités. Bowling, cours de danse ou de poterie, jeux d’arcades, café ou verre, repas, cinéma… On est loin du très pratiqué « On va boire un verre ? », et ses 2 ou 3 pintes de pils accompagnées d’une planche mixte et, si l’on est sur un grand jour, d’une assiette de frites.

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Crédit photo : Thrillist
Aujourd’hui, comme on a déjà nos terrasses pour combler nos envies de simplicité, de verres entre potes à se raconter nos vies ou inventer celle des passants, on a des attentes différentes lorsqu’on va dans des lieux différents. On a envie d’y faire, boire, manger, voir et écouter des choses nouvelles, qui changent : on veut une EXPÉRIENCE. Du divertissement, de l’immersion, de l’imagination, y compris sur les toits de nos immeubles. Quelque chose qui vaille le coup et le coût.
PETITE SÉLECTION DES ROOFTOPS QUI NOUS ONT LE PLUS PLU, EN FRANCE ET AILLEURS
Le Perchoir Menilmontant – Paris

Le Perchoir Menilmontant – Paris

Avec son rooftop bar couvert au 7ème et son restaurant au 6ème, le Perchoir de Ménilmontant coche pas mal de cases. On peut à la fois boire un verre dans une déco de jardin d’hiver (adjectif applicable uniquement par temps froid) et y manger des plats de haute volée grâce au restaurant-résidence de chefs à l’étage du dessous. Pas d’activités particulières mais un réel effort sur la décoration et la programmation de chefs. On dit oui.

On vous en parle aussi car ça commence le 1er décembre : le restaurant du Perchoir Porte de Versailles (situé dans la plus grande ferme urbaine de toiture d’Europe) devient PDV 1500 x Suisse Perchée, l’une des stations du Domaine des Trois Perchés, jusqu’au 19 mars. C’est le chef Patrick Schindler qui sera aux commandes du restaurant, qui va revêtir ses habits de lumières (alpines), tandis qu’à l’extérieur des chalets et des télécabines seront éparpillés parmi les sapins illuminés. Ça a l’air cool, y’a de l’idée.

Credit photo : Le Perchoir Ménilmontant
Le Sucre – Lyon

Le Sucre – Lyon

Le Sucre, si vous avez déjà été à Lyon, vous connaissez probablement. La Sucrière, ancienne usine de sucre utilisée comme entrepôt jusqu’en 1993, est aujourd’hui un haut lieu de l’événementiel et de la vie culturelle lyonnaise, étant notamment l’un des sites majeurs de la Biennale d’art contemporain de Lyon, mais accueillant aussi des dîners de gala du Bocuse d’Or ou des concerts lors du festival des Nuits Sonores. Sur son toit, le Sucre, construit en 2012 lors de la rénovation du lieu par l’agence Z Architecture, a lui aussi une vocation culturelle et artistique, résolument tourné vers les musiques électroniques. On y va pour boire un coup, assister à un spectacle de drag ou à des sets des meilleurs DJ actuels. Programmation aux petits oignons, on dit oui encore une fois.

Credit photo : Le Sucre
Le bar à bulles à la machine du Moulin Rouge – Paris

Le bar à bulles à la machine du Moulin Rouge – Paris

Le Bar à Bulles, c’est le bar et resto situé au-dessus du Moulin Rouge, en plein Pigalle. Sur la terrasse, on peut s’installer derrière les ailes du Moulin Rouge et se croire dans un film, ce qui est déjà plutôt cool. Mais ça ne s’arrête pas là, puisque la déco chinée et bigarrée donne à l’endroit un air de studio d’artiste, et que la programmation événementielle (environ 10 events par mois) est plutôt chiadée. Un autre oui.

Credit photo : Le Moulin Rouge
Le Baou – Marseille

Le Baou – Marseille

Le Baou surplombe Marseille et réunit une terrasse avec vue sur la mer, des food trucks, un bar à cocktails et une scène sur laquelle se succèdent l’été, depuis 2019, des artistes sélectionnés avec soin pour réchauffer un peu plus les soirées estivales. Simple, efficace, rondement mené.

Credit photo : Le Baou
Sky Night Bar – Madrid

Sky Night Bar – Madrid

Dans le quartier de Prosperidad, ce rooftop designé par Jean Nouvel donne l’impression de se trouver dans Le Cinquième Élément, ou pas très loin. Les couleurs, les formes, les matières, tout est assez futuriste. Ambiance plutôt lounge, il faut aimer. Les consommations sont un peu chères, mais valent le coup, et les DJ sets aux horaires espagnols permettent de danser une bonne partie de la nuit sans aller dans un club à proprement parler (et sans se farcir les consos chères mais dégueu qui vont souvent avec).

Credit photo : Es Madrid
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